Edouard Berthelot, miraculé

Samedi 26 avril 1913 : Naissance de Edward
“Comme pour tout le monde, je n’ai aucun souvenir de mes premiers instants.  Je me souviens tout de même de quelques faits très flous datant de loin, comme des personnes souriantes qui s’occupaient de moi par exemple. Une, en particulier, que je ne saurais pas nommer ou reconnaître aujourd’hui. Comme mon père n’aime pas parler du passé, et encore moins celui qui concerne ma mère biologique qu’il n’a jamais nommée, je ne sais rien hormis que j’étais voulu, ce qui n’est pas étonnant étant donné la volonté de mon géniteur de préserver son “sang noble”.”

Edward a, depuis sa naissance, une mémoire eidétique qui lui permet d’avoir des souvenirs à partir du moment où un enfant peut en avoir. Néanmoins, ceux-ci sont très flous concernant cette période, devenant de plus en plus claire en grandissant.
Ses parents connaissaient des désaccords depuis quelques temps, notamment à propos de la gestion des affaires familiales puisqu’aux yeux de Jean-Claude une femme ne devrait pas avoir à s’en occuper. En cherchant un moyen de sauver leur couple et leur amour, ils ont décidé de faire un enfant, Edouard. Les parents ont commencé à être plus doux et plus proches quelque temps afin de s’occuper correctement de leur fils. On aurait pu croire qu’ils avaient trouvé des compromis pour son bien. Malheureusement, il n’en était rien puisque Jean-Claude ne changea jamais de point de vu concernant la place de la femme au sein de la société. D’abord en secret, puis de plus en plus visiblement dans la maison.

Vendredi 20 mars 1914 : Divorce des parents biologiques d’Edward
“Je ne suis pas certain de m’en souvenir clairement. J’ai plus la sensation qu’il me reste les sentiments qui découlent de cet événement. Notamment le moment le plus déchirant pendant lequel je cherchais ma mère qui restait introuvable, que personne ne pouvait trouver. Et, comme pour ma naissance, Jean-Claude ne m’a absolument rien dit à ce propos. Je dois donc vivre sans connaître ma mère biologique, que ce soit de nom ou de visage. Je l’ai accepté et je ne vois pas l’intérêt de la chercher désormais.”

Suite au comportement abject de Jean-Claude envers les femmes, la mère biologique d’Edouard a décidé de demander le divorce. A cause de pots de vins versés aux avocats, elle a dû laisser son fils entre les mains de son ex-mari qui voulait en faire son héritier. Néanmoins, dans un accord commun, ils ont tout fait pour cacher leur séparation à Edouard pour le préserver. Pourtant, avec la Première Guerre mondiale et l’annonce d’une possible mobilisation de tous les hommes entre 20 et 48 ans, cette situation n’avait rien de bénéfique pour l’enfant. Heureusement, quand il fut appelé à faire la guerre, Jean-Claude accepta de laisser son fils à sa famille le temps qu’il revienne.
Les séquelles que Jean-Claude garda de cette guerre le firent revenir plus tôt à la maison et le rendirent bien plus aigri qu’il ne l’était avant, les conséquences retombant sur l’enfant.

Lundi 28 juillet 1919 : Remariage du père d’Edward
“A l’époque, j’ai juste vu une femme arriver à la maison et j’ai seulement cru qu’il s’agissait de ma mère dont personne ne voulait parler. Pas même les domestiques, sans doute par crainte de leur maître. Du coup, je me suis tout de suite attaché à Angela qui m’a traité comme son propre enfant. “

Angela a rencontré Jean-Claude grâce à leur emploi respectif bien avant la naissance d’Edouard. Les deux hommes sont devenus amis au fil du temps malgré l’amour à sens unique que Angela ressentait. Elle avait perdu son mari à cause d’une maladie incurable. Puis, après le divorce que Jean-Claude, qui paraissait être un homme droit et juste, Angela a commencé à le draguer en douceur, accepter les invitations à dîner, sortir et, progressivement, l’amour s’est installé entre eux. Ils se sont mariés en pensant être heureux ensemble jusqu’à la fin de leurs jours.

Mardi 20 octobre 1926 : Divorce de Jean-Claude et Angela
“Depuis quelques années ça allait de plus en plus mal entre mon père et Angela. Ils n’ont pas arrêté de se battre et de se disputer à propos de la manière de traiter les femmes. Tel un bon garçon, je n’ai fait que regarder de loin leurs altercations sans jamais m’en mêler. Mais ce qui a dû les séparer pour de bon c’est l’amour d'Angela pour un autre homme. Si je suis au courant de cette relation, c’est parce que je les ai surpris en train de se dire des mots doux et parler de s’en aller alors que j’étais tranquillement dans mon coin, dans la même pièce qu’eux, sans qu’ils aient remarqué ma présence. Finalement, tout cela aurait pu se terminer bien plus en douceur et c’est ce que je comprends pas dans toute cette histoire. Pourquoi aller si loin si c’est pour arriver à la même finalité ?”

Tout comme avec sa première femme, Jean-Claude a refusé de faire des compromis et a continué à traité les femmes comme il l’a toujours fait : comme des mère qui n’ont rien d’autre à faire que s’occuper de leur mari, faire des enfants et les élever. Rien de plus.  Angela, qui pouvait le voir et s’en rendre compte, ne l’a pas supporté et a préféré se rapprocher d’un roturier dont elle est tombée amoureuse par sa gentillesse alors qu’au départ elle pensait juste faire un plan pour sortir Edouard de cet environnement qui pourrait lui être nocif. Dans la même optique, elle a inculqué à l’enfant des valeurs allant dans le sens de l’égalité homme-femme. Malheureusement, avant de pouvoir faire plus, elle fut chassée de la maison avec une demande de divorce ne lui laissant pas la garde d’Edouard qui dû rester avec Jean-Claude. Néanmoins, ce dernier n’eut aucunement besoin de payer des pots de vins puisque l’avocat partageait totalement le point de vue de son client. Par la suite, il lui fut interdit par Jean-Claude de l’approcher, ne lui permettant de veiller sur son fils adoptif que de loin.

Mercredi 4 février 1931 : Edouard est déshérité et doit commencer à vivre par lui-même
“Je ne regrette rien de ce qui s’est passé.  Depuis mes quinze ans environ, mon père ne cesse de me montrer quel traitement il réserve aux femmes et je suis totalement contre. C’est inhumain et c’est à cause de mon jeune âge, ainsi que de mon manque de connaissances, que j’ai été incapable de savoir si j’avais la possibilité de le dénoncer ou non. En tout cas, père ou non, il n’a pas le droit de dicter ma vie et de me manipuler comme il le souhaite ! Je suis tombé amoureux de Gaël, un homme d’environ mon âge que j’ai rencontré lors de mes études à Metz. Rapidement, nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et avons vécu une idylle que nous pensions éternelle malgré les mœurs qui ne cautionnent pas ce genre d’amour. Malheureusement, ma relation a été découverte par mon père qui m’a chassé de la maison. Mes pas m’ayant amené à avoir une vie plus précaire, j’ai été séparé de Gaël que je n’ai plus jamais revu. J’ai appris dans les journaux deux ans plus tard qu’il est décédé d’une maladie qu’il m’avait cachée. Très longtemps, je me suis senti anéanti par la perte de mon amour perdu.
Pendant plusieurs années, j’ai vécu dans un petit appartement miteux que j’ai loué le temps d’économiser un peu plus afin de m’acheter une maison. J’ai eu des difficultés à joindre les deux bouts et à ne pas piocher dans mes économies, mais j’ai fini par trouver un bon rythme de vie en quelques mois, notamment grâce à des travaux de dessin que j’ai effectués pour des auteurs de livres. Maintenant, mon but est de m’acheter ce lieu de vie qui me fait rêver et de devenir professeur de collège.”

A 18 ans, Edouard faisait toujours des études secondaires longues. C’est la raison pour laquelle il a eu des difficultés à joindre les deux bouts pendant quelque temps, surtout après avoir été chassé de chez lui. Afin de parvenir aux buts qu’il s’est fixés, il a fait plusieurs petits jobs ainsi que des travaux qui impliquaient de mettre en pratique son talent dans le dessin, ce qui l’a réellement ravi. Bien qu’il ait montré un grand positivisme, il a été extrêmement chamboulé par la mort de son premier amour. Heureusement, cela ne l’a pas empêché de persévérer dans ses études qui arrivaient à leur fin et il s’est même montré plus motivé encore à vivre par lui-même au lieu de rester au crochets de son père, Jean-Claude. Il n’a jamais eu conscience qu’il aurait pu demander de l’aide à Angela qui prenait toujours de ses nouvelles par des moyens détournés et veillait sur lui sans oser lui parler directement, honteuse de ne pas avoir réussi à le prendre sous son aile par le passé.”

Dimanche 28 novembre 1937 : L’attaque et le coma
“Alors que ça fait six ans que je vis par moi-même, et que je vais bientôt m’acheter une maison à Aillianville, il m’est arrivé une mésaventure. Je rentrais chez moi, il faisait nuit, quand trois hommes que je ne connaissais pas du tout m’ont coincé dans une rue déserte. Ils étaient armés de pistolets et de couteaux. J’ai fait de la self-défense pour apprendre à me protéger mais, devant ces trois lascars, je n’en menais clairement pas large.  Ils me parlaient de les suivre et je pense avoir compris qu’ils voulaient demander une rançon ou quelque chose comme ça. Ne souhaitant pas être entre leurs pattes, j’ai fait en sorte de leur fausser compagnie. Pas assez rapidement malheureusement puisque, l’instant d’après, une détonation a retenti, une douleur a suivi, me faisant tomber dans l’inconscience.”

Les trois attaquants sont des voyous ayant un grand besoin d’argent. Ils ont alors pensé demander une rançon à une famille riche comme celle des Berthelot. En se renseignant, ils ont facilement retrouvé Edouard. Malheureusement, en voyant que celui-ci serait bien trop difficile à gérer, l’un d’eux n’a pas hésité à lui tirer dessus dans le but de le tuer. Atteint à la tête, d’une manière qui ne l’a pas tué sur le coup,  leur victime est tombée au sol et a été laissée pour morte. A cause de cela et d'une perte importante de sang, il est tombé dans le coma et y est resté pendant 6 ans.

Lundi 22 mars 1943 : Réveil du coma
“Lorsque je me suis réveillé, j’étais complètement perdu. Un lieu inconnu, des personnes inconnues… c’était comme si je ne connaissais absolument rien. Et l’expression de l’infirmière qui a découvert mon réveil, je m’en souviendrais toute ma vie. On peut dire qu’elle est inoubliable. C’est cette personne qui m'a appris que je suis resté dans le coma non pas pendant 6 jours ou 6 mois, mais bien 6 ans. J’ai été complètement choqué en l’apprenant. Qui a bien pu m’entretenir pendant si longtemps ? Je ne peux toujours pas croire que cela puisse être Jean-Claude. Mais, à part lui, je ne vois pas qui aurait pu…
Suite à mon réveil, j’ai dû faire de la rééducation avant de pouvoir sortir pour reprendre ma vie là où elle s’est arrêtée.  Les séances de rééducation ont continué même après, me mettant des bâtons dans les roues pour terminer mes études et avoir le diplôme que je convoitais. Je me suis donc concentré sur mes dessins afin de devenir dessinateur/illustrateur. De cette façon, j’entraîne également ma mémoire qui a été quelque peu amoindrie par cet incident, tout en restant plutôt impressionnante.“

La personne qui a entretenu Edouard durant son coma, allant même lui rendre visite régulièrement, est Angela. Elle a néanmoins refusé que son nom soit donné à son fils adoptif afin de ne pas trop le choquer. De son côté, Edouard n’a pas cherché à en savoir plus. Bien qu’il veuille pouvoir remercier cette personne, il préfère la laisser venir à lui. Après tout, si elle ne veut pas venir à lui, c’est qu’elle doit avoir une bonne raison. A ses yeux, forcer ne sert strictement à rien de plus que de mettre de la tension inutile. C’est également pour cette raison qu’il n’a pas tenté de retrouver Angela ou sa mère biologique.

Aujourd’hui : Situation actuelle de Edouard
“Suite à ma sortie de l’hôpital, j’ai pris le temps qu’il me fallait pour ça, mais j’ai fini par obtenir ma maison à Aillianville cette année et devenir dessinateur/illustrateur. Grâce à ce métier pour le compte de plusieurs particuliers et entreprises, je gagne plutôt bien ma vie et je suis pleinement satisfait de ma situation. Je n’ai pas tenu rigueur à Jean-Claude pour ce qui m’est arrivé et je n’ai pas cherché à obtenir justice. Six ans ont passé et je pense qu’il est inutile de remuer le couteau dans une plaie en train de cicatriser. Je préfère amplement profiter de la vie telle qu’elle vient et agir sur les problèmes sur le coup, battre le fer tant qu’il est chaud.”