J’ai attrapé son vêtement et je lui ai parlé pour lui demander de l’aide. Mais je n’arrive pas à savoir si c’était une bonne chose à faire. Je ne peux m’empêcher de trembler depuis que je l’ai senti sursauter. Va-t-il s’énerver parce que je lui ai fait peur ? Aurais-je dû me débrouiller tout seul ? Il ne bouge pas, maintenant, mais je sais que ça ne veut rien dire. Combien de fois me suis-je fait avoir par des personnes qui prétendaient me vouloir du bien avant de me chasser à grands coups de bâton ? Je crains vraiment ce qu’il va me dire et faire. Je ne le connais pas et même s’il a fait attention en parlant jusqu'à maintenant et qu’il ne m’a pas touché, je sais que ça peut changer soudainement. Si seulement je savais comment m’en aller d’ici… La porte par laquelle on m’a fait entrer de force est fermée et je ne sais pas si j’arriverais à l’ouvrir… Ça me fait peur tout ça. Je me demande si lui ne voit vraiment pas du tout, comme il me l’a dit. Je veux dire… ouais, il ne regarde pas toujours vers moi, il cherche toujours à tâtons et il me demande de l’aide. Mais est-ce que c’est vraiment vrai ou il fait semblant ? Je ne sais pas, mais je veux croire un peu que c’est vrai. Ça fait longtemps qu’on ne m’a pas parlé et qu’on ne m’a pas donné à manger. Ça fait aussi très longtemps que je ne suis pas allé dans… comment ça s’appelle déjà ? Cet endroit où on vit et où on ne ressent ni le froid, ni le vent, ni la pluie, ni rien que je n’arrivais jamais à fuir quand j’étais encore tout seul. Je ne me rappelle plus du nom comme pour beaucoup des choses que je voyais pourtant tout le temps avant. D’ailleurs, je me rends compte qu’il ne m’a pas crié dessus quand je ne savais pas lui dire où j’avais mal. Peut-être qu’il est gentil ? Peut-être que ça existe encore, quelqu’un de gentil…
Je viens de voir qu’il a bougé la tête. De haut en bas. Oui. Il a dit oui sans parler. Je l’ai reconnu. Alors, je le lâche quand il se tourne vers moi. Je le regarde, le surveille, pour guetter ses mouvements qui pourraient me faire mal. Il n’en a pas, mais je n’arrive pas encore à baisser ma garde. Il est peut-être comme les grands chiens qui me regardaient avant de me courir après. Et maintenant il me dit des choses. Je guette les mots et j’essaie de les comprendre. Doucement. Lentement. Mais je fais beaucoup d’efforts pour réussir. Si je comprends bien, il dit comme avec sa tête, qu’il va m’aider à me soigner. Je le comprends parce qu’il dit le mot “aider” et il n’y a pas de “non” avant ou après. En plus, comme il a dit “oui” de la tête, je pense qu’il n’a pas changé d’avis. Après, il me dit autre chose. La phrase est plus longue et plus compliquée. Je plisse un peu les yeux en le regardant alors que j’essaie de capter et de retenir tous les mots. Au début, c’est un peu facile et je pense pouvoir le faire sans avoir du mal. M’asseoir, c’est comme quand je l’attendais en écoutant la musique de la boîte. Mais après, il me parle de… “vêtement” et de “haut” ? Je prends le col de ce que je porte et je le tire pour le lui montrer. Je veux savoir si j’ai bien compris. Mais il ne me répond pas. Il va plus loin sans rien dire en plus. C’est dur de le comprendre avec les mots. Parfois c’est facile parce que je comprends comme si j’avais toujours compris, mais à d’autres moments c’est beaucoup plus dur. Je fais la moue en allant sur la chaise. Je cale mes deux pieds sur le bois de la chaise et je regarde ce que je porte. C’est sale et celui en haut cache mon ventre. Est-ce que c’est ça ? Je n’en suis vraiment pas sûr… En plus, je ne veux pas l’enlever. Je n’ai pas très chaud et j’ai peur que si je l’enlève j’ai encore plus froid. Je n’aime pas avoir froid. Après je tremble beaucoup et je ne sais pas faire les choses comme je veux. Alors, je réfléchis. J’entends le bruit de l’eau. C' est bizarre… Ce n’est pas comme dans la forêt, quand je vois de l’eau qui coule. Ce n’est pas grave. Je ne dois pas fâcher le monsieur. Alors comment faire ? Finalement, je prends le bas de mon tee-shirt et je le passe dans le col pour qu’il ne gêne pas sans que j’enlève tout. Comme il est très grand, je dois enrouler plusieurs fois, mais je trouve que c’est bien comme ça.
Quand j’entends des pas, je regarde ce que c’est en tournant la tête. Le monsieur vient vers moi en tenant dans les mains deux tissus. Ils sont blancs, mais je crois qu’il y en a un qui n’est pas pareil. Je n’arrive pas trop à comprendre pourquoi juste en regardant. Doucement, je passe ma main gauche sur mon œil qui me dérange. Je n’arrive pas à dire ce qu’il fait. Ça fait mal, mais pas que. C’est autre chose que je n’arrive pas à dire. J’arrête pour mieux écouter le monsieur qui parle encore en tenant près de moi un des tissus. Je fronce les sourcils en regardant le tissu et en écoutant ce qu’il me dit. Encore une fois, je ne suis pas sûr de comprendre comme il faut ce qu’il me dit. C’est quoi “nettoyer” ? Mais j’ai compris qu’il parle de ce qui me fait très mal sur mon ventre. “Blessure”. C’est comme ça qu’il appelle ça je crois. Doucement, je tends la main pour toucher le tissu qu’il a dans la sienne. C’est mouillé. Alors, est-ce que “nettoyer” veut dire “laver” ou “rincer” ? Je peux faire, je crois. Je comprends mieux quand il dit qu’il ne faut pas frotter mais que je dois enlever la terre. Il n’est pas sûr, et moi non plus. Mais si je ne dis pas de bêtise, il faut enlever le noir sans faire mal. Il dit encore un truc après : il faut sécher avec l’autre après. Je prends le tissu et je m’applique à faire ce qu’il m’a dit. Mais pourquoi “tirer” c’est normal ? Je n’ose pas demander parce que je n’aime pas ma voix, je n’arrive pas à dire les mots comme il faut et je ne sais pas comment faire pour que lui comprenne ce que je veux lui dire. J’aime pas ça…
Après que j’ai fini d’enlever le noir, je sèche comme il a dit. J’ai compris parce que je me souviens qu’on me disait ça après que je me sois lavé à la maison. C’est loin… Tellement loin, je crois, que je ne me souviens pas de tout. Et, quand j’ai tout fini, je pose les deux tissus sur la table pour regarder le monsieur. Je crois qu’il cherche quelque chose dans le sac qu’il a ramené tout à l’heure. Je le regarde faire. Il me semble que je sens une odeur très forte, mais je ne suis pas certain de ce que c’est. L’odeur est plus forte quand il met un produit que je crois transparent sur un autre tissu. Il n’est pas pareil que le premier, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi. Tout est trop bizarre… Alors, quand il me tend le truc bizarre, je ne le prends pas tout de suite. Je regarde le monsieur en me posant plein de questions. C’est quoi ? A quoi ça sert ? Comment dois-je faire ? Est-ce que ça fait mal ? Et parce qu’il commence à parler alors que je me demande tout ça, je crois un peu qu’il lit dans mes pensées. Pourtant, il ne m’explique pas ce qu’est “désinfecter”. Je ne comprends pas ce que c’est. Tout ce que je sais avec ce qu’il dit c’est que c’est encore pour mon ventre. Aussi, il m’explique comment je dois faire et il me dit que ça va “piquer”. Qu’est-ce que c’est que ça ? Il ne faut pas frotter non plus. Je regarde encore le tissu bizarre et quand je le prends je ne me sens pas trop bien. J’ai peur que ça me fasse mal ou que ça ne soit pas bien même si le monsieur ne fait rien de mal depuis que je suis là. Puis, quand je regarde mon ventre, ma “blessure”, je me demande un peu comment faire avant d’essayer. Je me tends très vite quand le tissu est sur ma blessure et je l’enlève. C’est ça, piquer ? Je grimace… Ca fait un peu comme mon œil. Il dit que c’est normal, mais je n’aime pas ça. Dois-je quand même le faire ? Quand je regarde le monsieur, il est en train de faire autre chose. Je n’aime pas ça…. J’ai peur. Je n’aime pas quand ça pique. Mais j’essaye encore un peu. Une fois… Deux fois… Mais je n’arrive pas à faire plus et je l’ai retiré tout de suite après avoir senti que ça pique. J’ai des larmes dans les yeux. Je pose alors le tissu bizarre et j’attends. J’ai envie de baisser le tissu sur mon ventre. Je veux le cacher pour que ça ne fasse plus ça. Je n’aurais pas dû le faire ! J’entends le géant me demander de lui dire quand j’ai fini. Je me frotte les yeux pour enlever les larmes et parce que mon œil pique et fait autre chose que je n’arrive pas à définir. Puis, je lui dis avec une voix qui tremble comme mes mains et toute petite :
- Fini…
Il se tourne encore vers moi et il tient un nouveau tissu bizarre dans ses mains. Il dit encore qu’il va aider, mais je ne comprends pas pourquoi il dit ça. Il ne l’a pas fait juste avant ? Je ne veux pas qu’il me touche… Je ne veux pas qu’il me fasse mal. Alors, je le regarde longtemps en essayant de comprendre ce qu’il veut faire. Le tissu va encore piquer, j’en suis sûr. Il m’a dit que c’est normal, mais je n’aime pas ça du tout. Je me recule sur la chaise quand il approche le tissu de moi. Puis il parle encore. Moi aussi je dois aider. Je dois faire qu’il mette le tissu sur ma blessure, si je comprends bien. “Protéger” est un mot qui retient beaucoup mon attention parce qu’il l’a dit avec le mot “soigner”. Alors je n’aurais pas mal cette fois ? Je réfléchis encore un peu avant de prendre les poignets du monsieur entre mes doigts. Je ne le tiens pas fort et je suis prêt à le lâcher à tout instant. Je l’approche de mon ventre que je rentre sans trop savoir comment ou pourquoi. Après, j’essaie de me rappeler ce qu’il m’a dit. Coller le sparadrap…. Qu’est-ce que c’est ? Les bandes sur la table ? Je n’en suis pas sûr, jusqu’à ce que j’en prenne une. Comme ça colle, je pense que c’est ça. Alors, je prends et j’essaie de mettre comme il m’a expliqué, sur le tissu et sur ma peau. Je crois que ça tient, maintenant.
- Oeil, piquer, no’mal ?
Maintenant que c’est bon pour mon ventre, et que ça ne pique pas comme j’avais peur, je veux poser la question que je me pose depuis que j’ai compris ce qu’est la sensation de piqûre. Elle n’est pas totalement similaire à celle du ventre, mais c’est assez ressemblant pour que je pense que c’est la même chose.
- Piquer et… aut’e chose…
J’espère qu’il ne va pas me mettre quelque chose dans l'œil… Je ne veux pas ! S’il veut le faire, je pars. Je ne veux pas !
Novembre 1946
Entre ourson et chaton